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Page:Pétrone, Apulée, Aulu-Gelle - Œuvres complètes, Nisard.djvu/421

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même se met à danser. Ses pas, d’abord timides et comme indécis, s’animent par degrés, et s’accordent, avec les ondulations de sa taille flexible et de suaves mouvements de sa tête, à marquer les temps de la douce mélodie. Ses yeux ont leur rôle aussi ; et, tantôt à demi fermés, semblent noyés dans la langueur, tantôt lancent des jets de flamme. Toute sa pantomime alors est dans ses yeux. Arrivée devant son juge, elle exprime par les mouvements de ses bras que, si elle obtient le pas sur ses divines rivales, elle lui donnera pour femme une beauté qui lui ressemble. Le jeune Phrygien n’hésite plus ; et la pomme d’or, prix de la victoire, passe de sa main dans celle de Vénus.

Allez maintenant, stupide cohue, pécores du barreau, vautours en toge, allez vous récrier sur le trafic universel de la justice au temps où nous sommes, quand, aux premiers âges du monde, un homme, arbitre entre trois déesses, a laissé la faveur lui dicter son jugement. Or, c’était l’élu du maître des dieux, un homme des champs, un pâtre, qui, ce jour-là, vendit sa conscience au prix du plaisir ; entraînant ainsi la destruction de toute sa race. Et ces fameuses décisions rendues par les chefs de la Grèce ! le sage, le savant Palamède déclaré traître et condamné comme tel ! et la gloire supérieure du grand Ajax humiliée devant la médiocrité d’Ulysse ! Que dire d’un autre jugement rendu à Athènes, ce berceau de la législation, cette école de tout savoir ? N’a-t-on pas vu le vieillard doué d’une prudence divine, et que l’oracle de Delphes avait proclamé le plus sage des hommes, victime d’une cabale odieuse, périr juridiquement par le poison, comme corrupteur de la jeunesse, dont il contenait les écarts ? Niera-t-on que ce ne soit une tache ineffaçable pour un pays dont les plus grands philosophes se font un bonheur aujourd’hui de proclamer l’excellence de sa doctrine, et de jurer par son nom ?

Mais, pour couper court à cette boutade d’indignation, qui ne manquerait pas de faire dire : Quoi ! il nous faut subir la philosophie d’un âne ! je reviens à mon sujet.

Après le jugement de Pâris, Junon et Minerve se retirent chagrines et courroucées, témoignant par leurs gestes le dépit qu’elles éprouvent de leur échec. Vénus, au contraire, satisfaite et radieuse, exprime son triomphe, en se mêlant gaiement aux chœurs de danses. Tout à coup, par un conduit inaperçu, s’élance du sommet du mont une gerbe liquide de vin mêlé de safran, qui retombe en pluie odorante sur les chèvres paissant à l’entour, et jette une nuance du plus beau jaune sur leur toison. Quand toute la salle en est embaumée, soudain le mont s’abîme en terre, et disparaît.

Alors un soldat s’avance au milieu de l’amphithéâtre, et demande, au nom du peuple, que la prisonnière condamnée aux bêtes paraisse, et que le glorieux hymen s’accomplisse. Déjà l’on dressait à grand appareil un lit qui devait être notre couche nuptiale. L’ivoire de l’Inde y brillait de toutes parts, et ses coussins, gonflés d’un moelleux duvet, étaient recouverts d’un tissu de soie à fleurs. Quant à moi, outre l’ignominie d’être en spectacle dans cette