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Page:Pétrone - Satyricon, trad. Héguin de Guerle, 1861.djvu/123

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dure toujours : il me semble que je suis à jeun depuis un an. Malheur aux édiles qui s’entendent avec les boulangers ! Aide-moi, je t’aiderai, voilà ce qu’ils se disent entre eux : aussi le menu peuple souffre, pendant que ces sangsues nagent dans l’abondance. Oh ! si nous avions encore parmi nous de ces hommes déterminés que je trouvai ici à mon retour d’Asie ! C’est alors qu’il faisait bon vivre ! La Sicile intérieure avait éprouvé la même disette : la sécheresse avait brûlé les moissons de cette contrée, qu’on eût dite en butte au courroux de Jupiter. Mais à cette époque vivait Safinius (je m’en souviens, quoique je fusse bien jeune alors) : il demeurait auprès du vieil aqueduc. Ce n’était point un homme, mais un véritable tonnerre : partout où il passait, il mettait tout en combustion. D’ailleurs, cœur droit, d’un commerce sûr, ami dévoué ; vous eussiez pu, sans crainte, jouer à la mourre avec lui les yeux fermés[1]. C’est au forum qu’il fallait le voir ! il vous pilait ses adversaires comme dans un mortier. Il n’usait pas de détours en parlant, mais il allait droit son chemin. Lorsqu’il plaidait au barreau, sa voix grossissait peu à peu comme le son du clairon ; et jamais cependant on ne l’a vu ni suer ni cracher : il avait le tempérament sec des Asiatiques[2]. Et comme il était affable ! il rendait toujours un salut et appelait chacun par son nom : on l’eût pris pour un simple citoyen comme nous. Aussi, pendant son édilité, les vivres étaient pour rien. À cette époque, deux hommes affamés n’auraient pu manger un pain d’un sou ; aujourd’hui, ceux qu’on nous vend au même prix