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Page:Pétrone - Satyricon, trad. Héguin de Guerle, 1861.djvu/161

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esclave qui était couché aux pieds d’Habinnas, sans doute par l’ordre de son maître, déclama d’une voix de Stentor les vers suivants :

La flotte des Troyens, sur la plaine liquide,
Suit le chemin tracé par le ciel qui la guide.


Jamais sons plus aigres n’écorchèrent mes oreilles ; car, outre que le barbare haussait ou baissait de ton, toujours à contretemps, il mêlait à son récit des vers empruntés aux farces atellanes ; si bien que, grâce à lui, Virgile me déplut pour la première fois. Enfin, n’en pouvant plus, il s’arrêta. — Et cependant, nous dit Habinnas, croiriez-vous qu’il n’a jamais rien appris ? seulement je l’ai envoyé quelquefois entendre les bateleurs ; c’est ainsi qu’il s’est formé. Aussi n’a-t-il pas son pareil, quand il veut contrefaire les muletiers ou les charlatans. Mais c’est surtout dans les cas urgents que brille son génie. Il est à la fois cordonnier, cuisinier, pâtissier ; enfin c’est un homme universel. Il n’a que deux petits défauts, et c’est bien dommage, car sans cela ce serait un garçon accompli : il est circoncis, et il ronfle comme un sabot ; il est vrai qu’il louche aussi un peu. Mais qu’importe ? c’est le regard de Vénus ; c’est pour cela qu’il me plaît. En considération de ce prétendu défaut dans la vue, je ne l’ai payé que trois cents deniers.