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Page:Pétrone - Satyricon, trad. Héguin de Guerle, 1861.djvu/172

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nata. Celle-ci se met à crier, comme s’il lui eût crevé un œil, et se cache le visage dans ses mains tremblantes. Scintilla, consternée de cet accident, la reçoit dans ses bras, et la couvre de son corps. Un esclave obligeant s’empresse d’approcher de sa joue malade un vase d’eau glacée ; Fortunata, la tête penchée sur ce vase, gémit et verse un torrent de larmes. Mais Trimalchion, loin d’en être ému : — Eh quoi ! dit-il, cette coureuse ne se souvient-elle plus que je l’ai tirée de la huche à pétrir ? que je lui ai donné un rang dans le monde ? La voilà qui s’enfle comme une grenouille ! elle crache en l’air, et cela lui retombe sur le nez. C’est une bûche, et non pas une femme. On sent toujours la fange où l’on est né. Le ciel me soit en aide ! je rabattrai le caquet de cette Cassandre qui veut porter les chausses. Elle oublie sans doute que lorsque je n’avais pas encore un sou vaillant, j’ai pu trouver des partis de dix millions de sesterces. Vous savez, Habinnas, que c’est la vérité. Hier encore, Agathon, le parfumeur, me tirant à l’écart, me dit : « Je vous conseille de ne pas laisser périr votre race. » Et moi, par une délicatesse outrée, pour ne pas paraître volage, je me coupe ainsi bras et jambes. C’est bien : je ferai en sorte qu’après ma mort tu gratteras la terre avec tes ongles pour me ravoir ; et pour que, dès aujourd’hui, tu saches tout le tort que tu t’es fait à toi-même, je vous défends, Habinnas, de placer sa statue sur mon tombeau, car je veux reposer en paix dans mon dernier asile. Bien plus, pour lui prouver que j’ai le pouvoir de punir qui m’offense, je ne veux pas qu’elle m’embrasse après ma mort.