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Page:Pétrone - Satyricon, trad. Héguin de Guerle, 1861.djvu/174

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l’homme ; je ne donnerais pas un fétu de tout le reste. J’achète loyalement, je vends de même. Je laisse à d’autres le soin de faire mon éloge. Lorsque je suis au comble du bonheur, pourquoi viens-tu encore m’étourdir de tes pleurnicheries, ivrognesse ? je te ferai pleurer pour quelque chose. Mais, comme je vous le disais, c’est ma bonne conduite qui m’a fait parvenir à la fortune. Quand j’arrivai d’Asie, je n’étais pas plus haut que ce chandelier auquel je me mesurais chaque jour ; et, pour faire pousser plus promptement ma barbe, je me frottais les lèvres avec l’huile d’une lampe. Cependant j’ai fait pendant quatorze ans les délices de mon maître, et je n’en rougis pas, car mon devoir était de lui obéir. J’étais en même temps le favori de ma maîtresse. Vous comprenez ce que cela veut dire. Je me tais, car je n’aime pas à me faire valoir.


CHAPITRE LXXVI.

Enfin, par la volonté des dieux, je devins maître dans la maison ; alors, je commençai à vivre à ma fantaisie. Que vous dirai-je ? mon maître me fit son héritier conjointement avec César, et je recueillis un patrimoine de sénateur. Mais l’homme ne sait jamais borner son ambition. Je me mis alors en tête de faire du commerce. Pour abréger, vous saurez que je fis construire cinq vaisseaux que je chargeai de vin ; c’était, à cette époque, de l’or en barre. Je les expédiai pour Rome ; mais, comme si c’eût été un fait exprès, ils firent tous naufrage. Ce n’est point un conte, mais la pure vérité ; la mer, en un seul jour, m’en-