Page:Pétrone - Satyricon, trad. Héguin de Guerle, 1861.djvu/185

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de divers tableaux très-remarquables. J’en vis, de la main de Zeuxis, qui résistaient encore à l’injure du temps, et je remarquai des ébauches de Protogène, qui disputaient de vérité avec la nature elle-même, et que je n’osai toucher qu’avec un frissonnement religieux. Je me prosternai devant des grisailles d’Apelles (espèce de peinture que les Grecs appellent monochrome). Les contours des figures étaient dessinés avec tant d’art et de naturel, que l’on eût cru que le peintre avait trouvé le secret de les animer[1]. Ici, sur les ailes d’un aigle, on voyait un dieu s’élever au plus haut des airs. Là, l’innocent Hylas repoussait les caresses d’une lascive Naïade. Plus loin, Apollon déplorait le meurtre commis par sa main, et décorait sa lyre détendue d’une fleur d’hyacinthe nouvellement éclose. Au milieu de toutes ces peintures de l’amour, oubliant que j’étais dans un lieu public, je m’écriai : Ainsi donc l’amour n’épargne pas même les dieux ! Jupiter, ne trouvant dans les cieux aucune beauté digne de son choix, descend sur la terre pour satisfaire ses caprices ; mais du moins il n’enlève à personne un objet aimé. La Nymphe qui ravit Hylas eût sans doute imposé silence à sa passion, si elle eût pensé qu’Hercule viendrait le réclamer. Apollon fit revivre dans une fleur l’enfant qu’il adorait ; enfin toutes les fables sont pleines d’amoureuses liaisons qui ne sont point traversées par des rivaux ; mais moi, j’ai admis dans mon intimité un hôte plus cruel encore que Lycurgue. Tandis que je prodiguais aux vents mes plaintes inutiles, je vis entrer dans la galerie un vieillard à cheveux blancs, dont le visage annonçait la réflexion et semblait promettre