Page:Pétrone - Satyricon, trad. Héguin de Guerle, 1861.djvu/186

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quelque chose de grand, mais dont la mise n’était pas très-soignée : tout dans son extérieur trahissait au premier abord un de ces hommes de lettres qui, pour l’ordinaire, sont en butte à la haine des gens riches. Il s’arrêta près de moi : — Je suis poëte, me dit-il, et, je me flatte, poëte de quelque mérite, s’il faut en croire ceux qui m’ont décerné des couronnes publiques[2] : il est vrai qu’on les accorde souvent par faveur à des ignorants. Pourquoi donc, me direz-vous, êtes-vous si mal vêtu[3] ? Par cela même que je suis poëte ; l’amour des lettres n’a jamais enrichi personne :

Le marchand qui brava les fureurs de Neptune,
Après mille dangers, arrive à la fortune ;
Mars de l’or des vaincus enrichit le vainqueur ;
Aux frais d’un vil Crésus s’engraisse un vil flatteur ;
Tandis que tour à tour, trafiquant du scandale,
Un fat à vingt beautés vend sa flamme banale[4].
Seul, hélas ! le savant, dans ce siècle pervers,
Ébloui par l’appât d’une gloire stérile,
Mal nourri, mal vêtu, sans patron, sans asile,
Invoque les beaux-arts dans leurs temples déserts.


CHAPITRE LXXXIV.

Cela n’est que trop vrai : qu’un philosophe, ennemi du vice, marche droit son chemin dans le sentier de la vie, le contraste de ses mœurs avec celles du siècle lui attire aussitôt la