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Page:Pétrone - Satyricon, trad. Héguin de Guerle, 1861.djvu/201

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côté opposé, un jeune homme tout nu et qui avait perdu ses habits se mit à crier aussi fort que moi, et d’une voix qu’animait la colère : Giton ! Giton ! Il y avait cependant cette différence entre nous, que les valets du bain se moquaient de moi comme d’un fou, et me contrefaisaient insolemment, tandis que la foule nombreuse qui l’entourait lui prodiguait les applaudissements et les témoignages d’une respectueuse admiration. Il faut vous dire que la nature l’a si richement doté des attributs de la virilité, qu’à la grandeur de ses proportions on le prendrait pour Priape lui-même[1]. O le vigoureux champion ! je crois qu’il pourrait soutenir une lutte amoureuse deux jours entiers sans discontinuer. Aussi ne fut-il pas longtemps dans l’embarras ; car je ne sais quel chevalier romain, connu, m’a-t-on dit, pour un infâme débauché, le voyant courir ainsi tout nu, le couvrit de son manteau et l’emmena chez lui, sans doute pour s’assurer le monopole de cette bonne fortune. Mais moi, je n’aurais pas même pu retirer mes habits du vestiaire[2], si je n’eusse produit un témoin qui affirma qu’ils m’appartenaient. Tant il est vrai qu’on fait plus de cas des dons du corps que de ceux de l’esprit[3] ! — A chaque mot que disait Eumolpe, je changeais de couleur : car si l’accident arrivé à mon ennemi m’avait réjoui d’abord, j’étais désolé de le voir ainsi tourner à son avantage. Toutefois, comme si j’eusse été complètement étranger à cette aventure, je gardai le silence sur mes relations avec Ascylte, et je détaillai à Eumolpe le menu de notre souper, A peine avais-je cessé de parler, qu’on nous servit. Ce n’était que des mets assez communs, mais substantiels et nutritifs : notre poëte famélique les dévora avec