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Page:Pétrone - Satyricon, trad. Héguin de Guerle, 1861.djvu/204

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Fort heureusement pour notre poëte, je n’avais plus l’épée que le soldat m’avait enlevée : bien lui en prit ; car tout le courroux qu’Ascylte avait allumé dans mon âme, je l’aurais éteint dans le sang d’Eumolpe. Giton s’en aperçut, et, sous le prétexte d’aller chercher de l’eau, il quitta la chambre. Son départ opportun apaisa mon ressentiment ; et, devenu plus calme : — J’aime encore mieux, dis-je à Eumolpe, vos vers que votre prose, quand vous exprimez de semblables désirs. Vous êtes libertin ; moi, je suis violent ; certes, nos caractères ne pourront jamais sympathiser. Je vous parais, sans doute, un insensé, un furieux ; eh bien, soit ; évitez les accès de ma folie, ou, pour parler clairement, décampez au plus vite. — Étourdi de cette apostrophe, Eumolpe, sans m’en demander l’explication, sort sur-le-champ, tire la porte sur lui, la ferme à double tour, met la clef dans sa poche, et court à la recherche de Giton. J’étais loin de m’attendre à une pareille ruse, et, me voyant ainsi renfermé, dans mon désespoir je résolus de me pendre. En conséquence, je dressai le bois du lit contre la muraille, et j’y attachai ma ceinture[2]. Déjà je passais mon cou dans le nœud fatal ; c’en était fait de moi… lorsque Eumolpe, accompagné de Giton, ouvre brusquement la porte et me rend à la vie. Giton, surtout, passant, à cette vue, de la douleur à la rage, pousse un grand cri, me prend dans ses deux bras, et, me jetant à la renverse sur le lit : — Vous vous trompez, Encolpe, me dit-il, si vous pensez qu’il vous soit possible de mourir avant moi. Je vous avais prévenu dans ce dessein : quand j’étais