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Page:Pétrone - Satyricon, trad. Héguin de Guerle, 1861.djvu/235

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plus grands excès. Je n’ai pas besoin, pour prouver ce que j’avance, de recourir aux tragédies anciennes, et de citer des noms fameux dans les siècles passés ; je vais, si vous daignez m’écouter, vous raconter un fait arrivé de nos jours. — Tout le monde se tourna aussitôt vers lui, et, voyant qu’on lui prêtait une oreille attentive, il commença en ces termes :


CHAPITRE CXI.

Il y avait à Éphèse une dame en si grande réputation de chasteté[1], que les femmes mêmes des pays voisins venaient la voir par curiosité, comme une merveille. Cette dame, ayant perdu son mari, ne se contenta pas des signes ordinaires de la douleur ; de marcher, les cheveux épars, à la suite du char funèbre ; de se meurtrir le sein devant tous les assistants : elle voulut encore accompagner le défunt jusqu’à sa dernière demeure, le garder dans le caveau où on l’avait déposé, selon la coutume des Grecs, et pleurer nuit et jour auprès de lui. Son affliction était telle, que ni parents, ni amis ne purent la détourner du dessein qu’elle avait formé de se laisser mourir de faim. Les magistrats eux-mêmes, ayant voulu faire une dernière tentative, se retirèrent sans avoir pu rien obtenir. Tout le monde pleurait comme morte une femme qui offrait un si rare modèle de fidélité, et qui avait déjà passé cinq jours sans prendre aucune nourriture. Une servante fidèle l’avait accompagnée dans sa triste retraite, mêlant ses larmes à celles de sa