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Page:Pétrone - Satyricon, trad. Héguin de Guerle, 1861.djvu/237

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épuisa tous les lieux communs qu’on emploie pour guérir une âme profondément ulcérée. Mais ces consolations qu’un inconnu ose lui offrir irritent encore plus la douleur de la dame : elle se déchire le sein de plus belle, s’arrache les cheveux, et les jette sur le cadavre. Le soldat ne se rebute point pour cela ; il lui réitère, avec de nouvelles instances, l’offre de partager son souper. Enfin, la suivante, séduite sans doute par l’odeur du vin, ne put résister à une invitation si obligeante, et tendit la main vers les aliments qu’il lui présentait ; puis, dès qu’un léger repas eut restauré ses forces, elle se mit à battre en brèche l’opiniâtreté de sa maîtresse. — Et que vous servira, lui dit-elle, de vous laisser mourir de faim, de vous ensevelir toute vivante, de rendre au destin une âme qu’il ne réclame pas encore ?

Non, madame, des morts les insensibles restes
N’exigent point de nous des transports si funestes.


Croyez-moi, revenez à l’existence ; défaites-vous d’une erreur trop commune chez notre sexe ; et, tandis que vous le pouvez, jouissez de la lumière des cieux. Ce cadavre, ici présent, vous dit assez quel est le prix de la vie. Comment fermer l’oreille aux discours d’un ami qui vous engage à prendre des aliments, et à ne pas vous laisser mourir ? La pauvre veuve, exténuée par une si longue abstinence, laissa vaincre son obstination : elle but et mangea avec la même avidité que la suivante, qui s’était rendue la première.