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Page:Pétrone - Satyricon, trad. Héguin de Guerle, 1861.djvu/240

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cer dans sa tombe le corps du défunt et pendre la veuve à sa place. — Sans doute l’injure que j’avais faite à sa couche, notre fuite et le pillage du vaisseau d’Isis lui revenaient en ce moment à l’esprit[2]. Mais les clauses du traité s’opposaient à toute récrimination de sa part, et la gaieté qui s’était emparée de tous les esprits l’empêchait de donner un libre cours à sa colère. Cependant Tryphène, toujours couchée sur Giton, couvrait son sein de baisers et rajustait, sur ce front chauve les boucles de la chevelure postiche. Pour moi, leur raccommodement me causait tant d’impatience et de chagrin, que je ne pouvais ni boire ni manger. Je leur lançais à tous deux de farouches regards ; les baisers, les caresses de cette femme impudique étaient pour moi autant de coups de poignard : je ne savais contre lequel des deux devait se tourner ma fureur, ou contre Giton, qui m’enlevait ma maîtresse, ou contre Tryphène, qui me débauchait ce bel enfant. Tous deux m’offraient un spectacle odieux et plus triste encore que ma captivité passée. Pour surcroît de chagrin, Tryphène évitait ma conversation et semblait méconnaître en moi un ami, un amant qui, naguère, lui était si cher. Giton, de son côté, ne me trouvait pas digne qu’il bût, comme d’usage, à ma santé, ou que, du moins, il m’adressât la parole comme à tout le monde : il craignait, je pense, dans ces premiers moments de réconciliation, de rouvrir la plaie encore saignante dans le cœur de Tryphène. Navré de douleur, j’inondais ma poitrine de larmes, et mes sanglots, que je cherchais à étouffer, pensèrent me suf-