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Page:Pétrone - Satyricon, trad. Héguin de Guerle, 1861.djvu/244

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esclaves fidèles s’étaient hâtés d’enlever Tryphène ; et, la plaçant sur la chaloupe, avec la meilleure partie de son bagage, ils la sauvèrent d’une mort inévitable. Pour moi, penché sur Giton, je m’écriais en pleurant : — Hélas ! notre amour avait mérité des dieux qu’un même trépas nous unît ; mais le sort jaloux nous refuse cette consolation. Vois ces flots prêts à engloutir notre vaisseau ; vois ces ondes irritées qui bientôt vont briser nos douces étreintes. Giton, si tu as jamais eu quelque affection pour Encolpe, couvre-moi de baisers : il en est temps encore, et dérobons au moins ce dernier plaisir à la mort qui s’approche.

A peine eus-je achevé, que Giton se dépouilla de sa robe, et, s’enveloppant dans la mienne, approcha de mes lèvres sa tête charmante ; puis, pour nous attacher si étroitement que la fureur des flots ne pût nous séparer, il nous lia tous les deux de la même ceinture : — Si nul autre espoir ne nous reste, nous sommes certains maintenant que la mer nous portera longtemps unis de la sorte ; peut-être même que, touchée de notre sort, elle nous jettera ensemble sur le même rivage ; peut-être qu’un passant, par un sentiment vulgaire d’humanité, couvrira nos restes de quelques pierres[4], ou que du moins les flots, dans leur aveugle fureur, nous enseveliront sous un monceau de sable.

Je laissai Giton serrer ces derniers nœuds : il me semblait que j’étais déjà étendu sur le lit funèbre, et j’attendais la mort sans la craindre. Cependant la tempête achevait d’exécuter les ordres du destin, et dispersait les débris du vaisseau.