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Page:Pétrone - Satyricon, trad. Héguin de Guerle, 1861.djvu/299

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disais-je, ma constante ennemie, avait-elle besoin de s’unir à l’Amour pour augmenter mes tourments ? Malheureux que je suis ! ces deux divinités, liguées contre moi, ont conjuré ma perte. L’Amour surtout, l’impitoyable Amour, ne m’a jamais épargné : amant ou aimé, je suis également en butte à ses rigueurs. Et maintenant ne voilà-t-il pas que Chrysis m’aime à la fureur, et me poursuit en tous lieux ! cette Chrysis, qui naguère fut auprès de moi l’entremetteuse de sa maîtresse, et qui alors me dédaignait comme un esclave, parce que j’en portais l’habit ; oui, cette même Chrysis qui avait tant d’éloignement pour ma condition servile, veut maintenant me suivre au péril de sa vie ; elle vient de me jurer, en me dévoilant la violence de sa passion, qu’elle s’attachait à moi comme mon ombre. Mais, elle a beau faire, je suis tout entier à Circé, et je méprise toutes les autres femmes. Et n’est-elle pas, en effet, le chef-d’œuvre de la nature ? Ariadne ou Léda eurent-elles jamais rien de comparable à tant de charmes ? Hélène et Vénus elle-même peuvent-elles lui être comparées ? Paris, juge du différend des trois déesses[1], s’il l’eût vue paraître auprès d’elles avec des yeux si resplendissants, lui eût sacrifié et son Hélène et les trois déesses. Oh ! que ne m’est-il permis du moins de lui ravir un baiser, de serrer dans mes bras ces formes célestes et ravissantes ! Peut-être alors je retrouverais toute ma vigueur, et mes organes, assoupis sans doute par quelque maléfice, se relèveraient brillants de force et de santé. Ses outrages ne peuvent me rebuter ; je ne me souviens plus des