Aller au contenu

Page:Pétrone - Satyricon, trad. Héguin de Guerle, 1861.djvu/307

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

affranchis, ne pourront toucher leurs legs que sous la condition expresse de couper mon corps en morceaux, et de le manger en présence du peuple assemblé. Cette clause n’a rien qui doive tant les effrayer ; car il est à notre connaissance qu’une loi, encore en vigueur chez certains peuples, oblige les parents d’un défunt à manger son corps ; et cela est si vrai, que, dans ces pays, on reproche souvent aux moribonds de gâter leur chair par la longueur de leur maladie. Cet exemple doit engager mes amis à ne point se refuser à l’exécution de ce que j’ordonne, mais à dévorer mon corps avec un zèle égal à celui qu’ils mettront à maudire mon âme. — Tandis qu’il lisait les premiers articles, quelques-uns de nos héritiers, les plus assidus auprès d’Eumolpe, entrèrent dans la chambre, et, lui voyant son testament à la main, le prièrent instamment de leur permettre d’en entendre la lecture : il y consentit aussitôt, et le lut d’un bout à l’autre. Mais ils firent triste mine, lorsqu’ils entendirent la clause formelle qui les obligeait à manger son cadavre. Cependant la grande réputation de richesse dont jouissait Eumolpe aveuglait tellement ces misérables, et les tenait si rampants devant lui, qu’ils n’osèrent se récrier, contre cette condition inouïe jusqu’alors. L’un d’eux, nommé Gorgias, déclara même qu’il était prêt à s’y soumettre, pourvu que le legs ne se fît pas attendre longtemps. — Je ne doute pas, reprit Eumolpe, de la complaisance de votre estomac : une heure de dégoût, largement compensée par l’espoir d’une longue suite de bons repas, me