Page:Pétrone - Satyricon, trad. Héguin de Guerle, 1861.djvu/360

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CHAPITRE LII. 1 Quemadmodum Cassandra occidit filios suos. — Cette histoire de Cassandre qui tue ses enfants, et de Niobé enfermée dans le cheval de Troie, est une nouvelle preuve de l’ignorance de Trimalchion, qui, voulant expliquer à ses convives les sujets ciselés sur ses amphores d’argent, brouille, confond les faits et les époques. Qu’est-ce encore que ces combats d’Herméros et de Pétracte ? Je pense que notre Midas veut parler du combat d’Hector et de Patrocle. On voit tous les jours des gens sans éducation commettre de pareilles bévues, lorsqu’ils veulent faire preuve d’érudition. Ce serait donc peine perdue que de chercher à expliquer sérieusement les discours de cet ivrogne.

2 Credite mihi, cordacem nemo melius ducit. — La cordace, danse lascive des Grecs. Athénée, livres IX et XIV, dit qu’il n’y avait que des personnes sans pudeur qui osassent la danser : elle était probablement du genre des boleros espagnols et de la chahut de nos guinguettes. Meursius, dans son Orchestrum, prodigue l’érudition sur cette danse, et cite une multitude de passages empruntés d’auteurs grecs et latins qui en ont parlé ; mais nous n’avons pu faire aucun usage des lambeaux qu’il entasse sans choix et sans ordre, malgré l’extrême envie que nous avions d’offrir à nos lecteurs une description détaillée de cette danse.

Quoi qu’il en soit, elle devait être d’une indécence rare ; puisque Trimalchion veut en amuser l’ivresse de ses convives et la sienne ; et nous croyons pouvoir, sans nous tromper, la ranger dans la classe des danses obscènes. Les Grecs en firent leurs délices, et les Romains l’adoptèrent avec une espèce de fureur, lorsqu’ils eurent pris les mœurs, les arts et les vices de la Grèce.

C’est probablement la cordace qui donna aux Romains l’idée de la danse nuptiale qui offrait la peinture la plus dissolue de toutes les actions secrètes du mariage. La licence de cet exercice fut poussée si loin sous le règne de Tibère, que le sénat fut forcé de chasser de Rome, par un décret solennel, tous les danseurs et tous les maîtres de danse ; mais le mal était trop grand, lorsqu’on y appliqua ce remède extrême, et la défense ne servit qu’à rendre ce plaisir plus piquant. Qui le croirait ? la jeunesse romaine prit la place des danseurs à gages qu’on avait chassés. Le peuple imita la noblesse ; et les sénateurs eux-mêmes n’eurent pas honte de se livrer à cet indigne exercice. Il n’y eut plus de distinction sur ce point entre les plus grands noms et la plus vile canaille de Rome. Enfin l’empereur Domitien, qui n’était rien moins que délicat sur les mœurs, se vit obligé d’exclure du sénat des pères conscrits qui s’étaient avilis au point, d’exécuter en public ces sortes de danses.