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Page:Pétrone - Satyricon, trad. Héguin de Guerle, 1861.djvu/374

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racontée avec beaucoup d’esprit et d’agrément ; mais quelles mœurs, grands dieux ! quelle profonde dépravation dans cet homme qui, ayant reçu l’hospitalité dans une maison, cherche, par tous les moyens possibles, à corrompre le fils de son hôte, et abuse d’une manière infâme de la confiance de ses parents, qui, dupes de son air sévère et de ses chastes discours, l’ont chargé de voilier sur l’éducation de leur enfant ! Qu’Encolpe raconte ses honteuses amours avec Giton, on le conçoit : l’auteur, dès les premières lignes de cet ouvrage, nous a représenté son héros comme un aventurier souillé de toute espèce d’infamies, et de la part duquel on doit s’attendre à tout ; mais qu’Eumolpe, un poëte de quelque mérite, dans la bouche duquel Pétrone place ses plus beaux vers, le poëme de la Guerre civile ; qu’un vieillard se vante, en plaisantant, d’avoir violé les plus saintes lois de l’hospitalité, c’est ce que je ne pourrais pardonner à Pétrone, si je ne savais que ce qui, dans nos mœurs, serait monstrueux, semblait aux Romains tout simple, tout naturel. Preuve nouvelle des immenses services rendus à l’humanité par le christianisme. Du reste, je partage entièrement l’avis de Saint-Évremond, qui a réfuté, d’une manière très-ingénieuse, les auteurs qui ont fait l’éloge de la morale du Satyricon. Saint-Évremond s’était montré l’admirateur passionné du style et de l’esprit de Pétrone ; mais son enthousiasme, comme on va le voir, ne lui fermait pas les yeux sur l’immoralité de ses personnages. Le passage dont il s’agit est écrit avec tant de grâce, qu’on me saura gré de le mettre ici sous les yeux du lecteur, malgré son étendue :

« Je ne suis pas de l’opinion de ceux qui croient que Pétrone a voulu reprendre les vices de son temps ; je me trompe, ou les bonnes mœurs ne lui ont pas tant d’obligation. S’il avait voulu nous laisser une morale ingénieuse dans la description des voluptés, il aurait tâché de nous en donner quelque dégoût ; mais c’est là que paraît le vice avec toutes les grâces de l’auteur ; c’est là qu’il fait voir, avec le plus grand soin, l’agrément et la politesse de son esprit. S’il avait eu dessein de nous instruire par une voie plus fine et plus cachée que celle des préceptes, pour le moins verrions-nous quelque exemple de la justice divine et humaine sur ses débauchés. Tant s’en faut : le seul homme de bien qu’il introduit, le pauvre Lycas, marchand de bonne foi, craignant bien les dieux, périt misérablement dans la tempête au milieu de ces corrompus qui sont conservés. Encolpe et Giton s’attachent l’un avec l’autre pour mourir plus étroitement unis, et la mort n’ose toucher à leurs plaisirs. La voluptueuse Tryphène se sauve avec toutes ses hardes dans un esquif. Eumolpe fut si peu ému du danger,