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Page:Pétrone - Satyricon, trad. Héguin de Guerle, 1861.djvu/412

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absence, car on ne s’en sera pas même aperçu. Bien plus, lorsque le temps viendra de donner ces repas si longs et si perfides pour la santé, on délibérera longtemps si, outre les convives d’obligation, on invitera encore quelque étranger ; et si, après un mûr examen, on veut bien s’y résoudre, celui-là seul sera admis qui, docte en fait de spectacles, monte une garde assidue chez les cochers du Cirque, ou qui est expert dans toutes les subtilités du jeu. Pour les hommes savants et vertueux, on les évite comme des ennuyeux et des trouble-fêtes. Que dirai-je de ces ridicules cavalcades de nos riches fastueux, qui se divertissent à courir la poste dans les rues, au risque de se rompre le cou sur le pavé, traînant à leur suite une si grande quantité de domestiques, que, suivant l’expression du poëte comique, ils ne laissent pas même le bouffon pour garder la maison ? Et ce divertissement ridicule, les matrones elles-mêmes n’ont pas craint de l’imiter en courant aussi la ville dans des litières découvertes. Le char triomphal marche, au centre d’une armée d’esclaves ; et l’arrière-garde est formée par les eunuques, dont le nombre et la difformité nous font détester la mémoire de Sémiramis, cette reine cruelle, qui, la première, violant les lois de la nature, fit regretter à cette mère tendre, mais imprudente, d’avoir montré trop tôt, dans les générations à peine commencées, l’espoir des générations futures.

« Avec de pareilles mœurs, on croira facilement que les maisons où les sciences furent jadis cultivées ne sont plus maintenant que le réceptacle de plaisirs vains et frivoles ; de sorte qu’à la place des orateurs et des philosophes, on n’entend plus, du matin au soir, que le son des flûtes et le chant des musiciens. Pour les bibliothèques, elles sont plus closes et plus abandonnées que les sépulcres ; les orchestres, les instruments hydrauliques en ont pris la place. Enfin on en est venu à ce comble d’indignité, que, lorsque la disette a obligé de chasser de la ville les étrangers, cette loi a été exécutée à la rigueur pour tous ces hommes utiles qui enseignent les arts libéraux, tandis qu’on a conservé les mimes et les histrions, et que (ô honte !) trois mille danseuses ont été retenues dans la capitale, ainsi que leur cortége de musiciens et de choristes. Autrefois Rome était un asile assuré pour quiconque y portait les arts et l’industrie ; maintenant je ne sais quelle sotte vanité fait regarder comme vil et abject tout ce qui est né au delà du Pomérium. J’en excepte cependant les célibataires et tous ceux qui n’ont pas d’héritiers : ceux-là sont comblés d’attentions et de prévenances. Telles sont les mœurs des nobles ; pour le menu peuple, il passe souvent la nuit dans les cabarets, ou même dans les théâtres, à l’abri de ces toiles dont