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Page:Pétrone - Satyricon, trad. Héguin de Guerle, 1861.djvu/430

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monde qui lui paraissait le plus attaché. On n’a jamais su la cause du crime de Magius, qui se perça le cœur du même poignard, et mourut sur-le-champ. Sulpicius fit porter à Athènes le corps de son ami, dont il célébra les funérailles avec autant de pompe que sa situation, dans une ville étrangère, le lui permettait. Il ne put obtenir des Athéniens une place dans leurs murs pour y déposer les restes de Marcellus, parce que leur religion le leur défendait ; mais ils lui laissèrent la liberté de prendre une de leurs écoles publiques, et il choisit celle de l’Académie, regardée alors comme le plus noble endroit de l’univers. Il y fit brûler le corps, et laissa des ordres pour élever à sa cendre un monument en marbre. Marcellus était le chef d’une famille qui avait donné, depuis plusieurs siècles, des grands hommes et des citoyens vertueux à la république. La nature lui avait accordé des qualités qui répondaient à l’éclat de sa naissance. Il s’était formé un caractère particulier d’éloquence, qui lui avait acquis une réputation brillante au barreau ; de tous les orateurs de son temps, il était celui qui approchait le plus de la perfection à laquelle Cicéron s’était élevé ; son style avait de l’élégance, de la force et de l’abondance ; sa voix était douce autant que son action était noble et gracieuse. Sa mort coûta des regrets et des larmes à tous les Romains qui chérissaient encore la liberté et la vertu.

4 Tu concute plebem, Curio. — Curion avait reçu de la nature des qualités égales à sa naissance. Son entrée dans le monde avait été des plus brillantes ; il fronda hautement, à la tête de la jeune noblesse, les entreprises des triumvirs, César, Pompée et Crassus. Cette audace le rendit l’idole du peuple ; il ne paraissait point au théâtre et dans les assemblées sans y recevoir des preuves éclatantes de sa faveur ; et Pompée n’avait jamais été plus applaudi dans les beaux jours de sa gloire. Cicéron l’aimait beaucoup ; ce grand homme, qui lui connaissait assez de génie et d’ambition pour faire beaucoup de bien ou de mal à sa patrie, tâcha de l’engager de bonne heure dans les intérêts de la république, de lui inspirer du goût pour la véritable gloire, et de le décider à faire un noble usage des biens immenses qu’il avait hérités de son père.

Le luxe et la corruption rendirent ses efforts inutiles : Curion, qui venait d’exercer la questure en Asie, donna au peuple, en l’honneur de son père, des jeux qui lui coûtèrent sa fortune. Il y déploya la plus grande magnificence, mais ce fut surtout par la singularité de l’invention qu’il se distingua.

Nous allons mettre le lecteur à même d’en juger, à l’aide des détails suivants : « Il fit construire deux planchers, en forme de croissant, assez vastes pour contenir une portion considérable du peuple romain. Chacun