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Page:Pétrone - Satyricon, trad. Héguin de Guerle, 1861.djvu/431

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de ces planchers n’avait d’autre point d’appui qu’un pivot sur lequel on le faisait tourner à volonté. Ces deux demi-cercles étaient d’abord adossés l’un à l’autre, mais à une distance convenable, afin qu’on eût la faculté de les faire mouvoir. On représentait en même temps sur tous les deux des pièces dramatiques, sans que de l’un à l’autre les acteurs pussent s’entendre ou s’interrompre. Ensuite on faisait tourner ces deux croissants, dont les extrémités, en se réunissant, formaient un cirque, où se donnaient des combats de gladiateurs. »

C’est à cette occasion que Pline s’écrie avec sa causticité ordinaire. : « Que faut-il le plus admirer dans ce spectacle ? est-ce l’inventeur ou l’invention ? le machiniste, ou celui qui le met en œuvre ? la hardiesse de celui qui commande, ou la docilité de celui qui obéit ? La nouveauté du spectacle a tourné toutes les têtes ; et, dans son ivresse, le peuple romain ne voit pas l’imminent danger de son étonnante et bizarre position : il siége sans inquiétude sur un échafaud mobile prêt à fondre sous lui. Le voilà donc, ce peuple, le roi des nations, le conquérant de l’univers, le distributeur des provinces et des royaumes, le législateur de la terre, cette assemblée de dieux dont les volontés font la destinée du monde ! ! ! embarqué sur deux espèces de navires, spectateur et spectacle tour à tour, il pirouette sur deux gonds, et s’applaudit de l’étrange nouveauté du péril qu’il affronte ! »

Cicéron, qui craignait que de pareilles dépenses, en absorbant le patrimoine de son élève, ne fussent l’écueil de sa vertu, l’avait inutilement engagé à suspendre son projet. L’événement justifia ses craintes : Curion fut réduit dans la suite à se vendre à César. Il était alors tribun du peuple : il n’avait d’abord sollicité cet emploi que pour attaquer le vainqueur des Gaules, et s’opposer à ses projets contre la république ; mais un million que César lui fit offrir changea ses dispositions, et le détacha de la cause commune. Ce n’était plus le temps des Curius ; et Fabricius, contemporain de César, eût peut-être accepté l’or des Samnites.

Lorsque la guerre civile éclata, Curion sortit de Rome, et se rendit au camp de César, qui le chargea d’aller s’emparer de la Sicile. Caton, que Pompée y avait envoyé pour la garder, prit le parti de l’abandonner à Curion, qui le suivit aussitôt en Afrique pour le combattre. Le malheur et la mort l’y attendaient : ses troupes furent taillées en pièces par celles de Juba, roi de Mauritanie, attaché au parti de Pompée. Ses amis le pressaient d’assurer sa vie, et de fuir avec les débris de son armée ; mais il leur répondit qu’ayant si mal rempli les espérances de César, il ne se sentait pas la force de paraître à ses yeux ; et, continuant de combattre en homme désespéré, il fut tué entre ses derniers soldats.