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Page:Pêcheurs de Terre-Neuve, récit d'un ancien pêcheur, 1896.djvu/26

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devint clair environ une demi-heure après sa montée à bord ; il releva les oreillons et le derrière de son bonnet, et sa figure halée par les âpres souffles de la mer, que je vis mieux, confirma mon pressentiment en me révélant comme une âme qui aurait façonné ce corps.


Nous avons tous rencontré de ces hommes dont la physionomie, le geste et toute l’attitude révèlent une âme et une âme qui sait ce qu’elle veut. Pour ma part j’en ai beaucoup plus rencontré dans ce qu’on appelle le monde des travailleurs que dans celui où c’est une profession que d’avoir une âme. Comme il faut que nous soyons malades pour aller chercher dans des philosophies abstruses ou dans des poésies tourmentées ce divin langage si clair et si manifeste dans tout homme qui fait bien ce qu’il fait, dans un vigoureux coup de marteau qui porte, dans tout triomphe, si humble qu’il soit, de l’esprit sur la matière, auquel se ramène en définitive tout travail manuel ! Voilà bien la première lecture divine, la première épellation qu’il faut faire si l’on veut comprendre les œuvres d’art, celles dignes de ce nom. Et je me demande vraiment de quel droit l’artiste pourrait prétendre m’émouvoir si la plus humble chose n’était supportée et comme enveloppée par ce qu’elle contient de divin.

Soit dit en passant, c’est à l’école de tels hommes que je voudrais voir tous nos intellectuels. Alors peut-être comprendraient-ils de quel prix est une vraie royauté comparée aux faciles triomphes de nos mannequins de villes. Dans les milieux dont je parle, on