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Page:Pêcheurs de Terre-Neuve, récit d'un ancien pêcheur, 1896.djvu/86

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je vous assure que cette pitié et cette humanité avaient du prix. Pourquoi ne vous ai-je guère parlé de ceux-ci ? Tout simplement parce qu’il m’a paru naturel de décrire mes impressions les plus vives, celles du début, celles qui marquent le plus dans la mémoire. J’aurais pu les fondre avec les autres, me direz-vous ? mais, outre que je n’en suis pas capable, il m’a semblé que vous n’échapperiez pas plus que moi à l’attraction sympathique que ces brutes franches et droites exercent sur moi, depuis que je connais la brutalité polie. Si vous ajoutez encore que cette extrême brutalité, elle est le fruit de l’extrême misère, vous penserez qu’avant de condamner, il est bon que chacun se demande ce qu’il serait capable de faire en situation pareille.

Je ne veux pas insister sur l’importance commerciale très grande de la pêche de la morue. La morue salée est un mets de riches et de pauvres, et c’est par huit ou dix millions de francs que se chiffre chaque année le produit de la seule pêche française. Mais demandez aux chirurgiens de la marine de l’État ou aux officiers de l’inscription maritime ce qu’il faut penser de cette école, de cette pépinière de marins ? Ils vous répondraient tous que sa disparition serait un coup funeste pour nos flottes militaires.

Passons sur ces raisons utilitaires ; glissons encore, quoiqu’il en coûte, sur le caractère éminemment français de ces pêcheries du Grand Banc et de tous les Bancs qui avoisinent les maigres rochers de Saint-