Page:Pêcheurs de Terre-Neuve, récit d'un ancien pêcheur, 1896.djvu/87

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 83 —

Pierre de Miquelon[1]. Car c’est là, sur ces âpres îlots, vénérables reliques de notre ancienne domination dans ces parages, que j’ai vu flotter en maître notre pavillon, que je l’ai vu couvrir véritablement un esprit français, même chez ceux qui, comme les Canadiens, Acadiens, Labradoriens, ne sont plus Français de par la politique ou l’histoire. Ailleurs, dans d’autres ports de l’Atlantique ou du Pacifique, j’ai souffert de la rareté de ce même pavillon et surtout de son peu de signification réelle. C’est à Saint-Pierre que j’ai dû de comprendre l’amour qu’on peut éprouver pour la patrie dans ses prolongements coloniaux, à Saint-Pierre que j’avais maudit dans mon égoïsme de malheureux.

Ce qu’il importe plus particulièrement d’apercevoir et de sentir, c’est quelle école d’hommes et quel puissant laminoir de caractères est un pareil milieu. Pères et mères de famille qui êtes assez forts pour préférer au besoin la mort de vos fils à leur conservation pour le mal, envoyez-les là, afin qu’en même temps qu’ils y apprendront le prix du pain, ils y soient témoins d’un héroïsme qui s’ignore d’autant mieux qu’il est la loi de tous les jours. Un pays qui aurait beaucoup de sources de vitalité comme celle-là ne serait pas près de périr. Pour moi, tout en reconnaissant que mon carac-

  1. À côté du Grand Banc et plus rapprochés de Saint-Pierre, on distingue encore le Banquereau, le Banc-à-Vert et le Banc de Saint-Pierre où pêchent plus particulièrement les goélettes, qui arment et désarment généralement à Saint-Pierre. Les navires de deux à quatre cents tonneaux qui arment en France vont surtout sur le Grand Banc.