Page:Pages choisies des auteurs contemporains Tolstoï.djvu/6

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climatériques. — N’est-ce pas en vertu de la même théorie qu’actuellement Tolstoï, après avoir posé que le Russe est imperméable à la civilisation telle que l’entend l’Occident, en tire la conclusion qu’il faut se hâter de le replonger au milieu des conditions où il vivait il y a deux siècles ?

Heureusement, on trouve dans ce fragment de roman autre chose que le germe d’un pareil raisonnement. On y constate, entre autres manifestations premières d’un talent appelé à s’élever plus tard si haut, un sentiment intense de la nature, des descriptions saisissantes par leur effet d’ensemble comme par le fini du détail, une misanthropie qui ne peut déjà plus passer pour de la mauvaise humeur, un pessimisme sur le point de démêler la formule rationnelle du désespoir, enfin, vis-à-vis de l’effort, une méfiance bien près de se transmuer en mépris.

Détaché en Crimée pendant la guerre qui y sévit, il y puisa l’inspiration de trois récits : Sébastopol en décembre, — en mai, — en août, que le public accueillit avec faveur. Les Cosaques avaient attiré l’attention, la nouvelle œuvre la retint.

Aussitôt la paix conclue, Tolstoï démissionna, et durant quelques années il vécut à la cour et dans la haute société des deux capitales, s’intéressa à diverses questions administratives, voyagea à l’étranger.

Enfin il revint à Iasnaïa-Poliana, et depuis lors il n’a quitté ce domaine que très rarement, et pour très peu de temps chaque fois.

L’unique événement, qui n’offre rien de mystique, dans cette seconde portion de son existence, est son élection, en 1883, au maréchalat de la noblesse du district de Kravsivna. Ce furent du reste les seules fonctions publiques qu’il consentit jamais à remplir, et encore ne s’y résigna-t-il qu’après une longue résistance et sans doute surtout pour se délivrer des instances dont on l’accablait.

Il s’est en effet toujours soigneusement tenu à une égale distance en dehors, ou au-dessus, comme on voudra, de l’un et de l’autre des deux partis qui divisent la classe cultivée de son pays. Tourgueniev a servi ardemment la cause du libéralisme, et Dostoïevsky n’était pas le moins fougueux des Slavophiles. Plusieurs points de la doctrine politique de Tolstoï ne paraissent, en définitive, que