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L’ŒUVRE DE VAUVENARGUES.

cœur : ce sont de pures émotions qu’aucune appréciation critique n’accompagne. Il faut faire de belles actions, non parce qu’elles ont été jugées telles au tribunal de la conscience, mais parce qu’elles sont suivies d’une jouissance secrète pure et exquise, parce qu’elles satisfont à un besoin impérieux de notre être.

Une grande part de vérité était contenue dans ces pensées. Le sentiment a des illuminations soudaines, des éclairs de divination qui dépassent infiniment les froides lumières de la raison. Dans la recherche désintéressée du bien, comprendre est peu de chose, sentir est tout. Les auteurs des plus belles découvertes de l’ordre intime étaient des esprits assez médiocres au point de vue spéculatif ; et des créatures très humbles, très naïves, dont l’intelligence ne pouvait certes se hausser à la connaissance réfléchie du juste et de l’injuste, ont accompli, par la seule inspiration de leur cœur, des merveilles de délicatesse morale. La logique a fait, au contraire, plus d’une victime ; il est des âmes qui se sont damnées par syllogisme, et à qui l’esprit du mal a pu dire, comme à ce réprouvé de l’Enfer du Dante : Tu non pensavi ch’io loigo fossi, « Tu ne savais pas que je fusse logicien ».

L’originalité d’une telle doctrine est d’avoir été conçue en dehors de tout principe impératif, religieux ou rationnel. Mais cela en fait aussi la fai-