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L’ŒUVRE DE VAUVENARGUES.

bien et pour le faire. Elle ne s’adresse pas à la masse de l’humanité, dont les instincts seront toujours vulgaires, égoïstes, violents et sensuels, mais à l’élite des âmes droites et pures qui trouvent en elles, dans les impulsions nobles de leur nature, dans le mouvement désintéressé de leur cœur, le principe du devoir et la force de l’accomplir.

La prévention de Vauvenargues contre la raison est si opiniâtre que, après avoir placé dans le sentiment le foyer de toute émotion morale, il en veut faire encore la source la plus haute des vérités de l’intellect. « N’y a-t-il pas, se demande-t-il, d’autre manière de connaître que par discussion ? » N’existe-t-il pas, dans le monde des idées, d’autre certitude que celle de la spéculation pure ? La vérité ne serait-elle pas accessible aussi « par les routes du cœur » ?

Pascal avait aperçu déjà que certaines notions se présentent spontanément à notre esprit avec une évidence irrésistible, sans le concours du raisonnement ni de la réflexion, et, dans un morceau célèbre, il avait revendiqué les droits du cœur à la connaissance de la vérité. Mais cette pensée, neuve et grande, il ne l’avait saisie, comme une arme qu’il eût trouvée sur son chemin, que pour blesser et humilier la raison ; car, le coup porté, il l’avait rejetée aussitôt, la déclarant non moins fausse et dangereuse, proclamant « qu’il n’y a point de certitude hors la foi ».