Page:Paléologue - Vauvenargues, 1890.djvu/113

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
105
L’ŒUVRE DE VAUVENARGUES.

les faiblesses de l’homme, sans indulgence pour ses vices, il lui a rendu ses vertus, il lui a restitué ses titres de grandeur et de noblesse, et le jugement qu’il a formulé restera un des plus équitables qu’on ait prononcés sur la nature humaine.

Curieux contraste : La Rochefoucauld, né au premier rang, doté de la plus grande fortune, aimé de l’amour le plus passionné et le plus touchant dans sa jeunesse, entouré d’illustres et exquises amitiés dans sa vieillesse, comblé, semble-t-il, de toutes les faveurs du sort, n’a rapporté du voyage de la vie qu’une expérience amère, et du spectacle de l’humanité qu’un pessimisme dédaigneux. Vauvenargues, au contraire, pauvre, toujours souffrant, malheureux dans toutes ses entreprises, conserve la sérénité de son âme et l’équité de son jugement, proclame que l’homme est capable de bonté, de désintéressement et d’amour, et, lorsque la mort vient le saisir à trente et un ans, « remercie à genoux la nature de ce qu’elle a fait des vertus indépendantes du bonheur ».

Les doctrines jansénistes rencontrent chez Vauvenargues une opposition plus vive encore. Port-Royal avait institué et soutenu une lutte sans trêve contre les passions : Vauvenargues les exalte et les glorifie comme le principe de toute activité morale, comme la vie même de l’âme. « C’est une folie, écrit-il à Mirabeau, de les combattre ; car la vie sans