Aller au contenu

Page:Paléologue - Vauvenargues, 1890.djvu/114

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
106
VAUVENARGUES.

passions ressemble à la mort, et je compare un homme sans passions à un livre de raisonnements ; il n’a pas la vie en lui, il ne sent point, il ne jouit de rien, pas même de ses pensées. »

C’est le propre des convictions profondes d’aller jusqu’aux dernières conséquences de leur principe. Vauvenargues est si intimement persuadé de la beauté morale et de la nécessité de l’action, que, par crainte de ralentir ou de troubler l’homme dans ses entreprises, il n’a garde de le prémunir au moins contre les dangers de la passion, et préfère l’absoudre d’avance de toutes les suites où elle le peut entraîner. « Qui veut se former au grand, dit-il, doit risquer de faire des fautes et ne pas s’y laisser abattre. » Mais, dans le secret de sa conscience, il va plus loin : les forfaits illustres accomplis sous l’empire d’une grande idée le remplissent d’une admiration qu’il n’ose avouer, et, du fond de son âme, il porte envie aux temps disparus où ces excès magnifiques de l’énergie humaine se produisaient librement. « Nous ne portons plus le vice à ces extrémités furieuses que l’histoire nous fait connaître ; nous n’avons pas la force malheureuse que ces excès demandent, trop faibles pour passer la médiocrité même dans le crime. » À toutes les époques de forte civilisation, le rêve d’un passé idéal a été la diversion des esprits dont la réalité sociale comprimait le développement. Les âmes tendres et