Page:Paléologue - Vauvenargues, 1890.djvu/131

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
123
ORIGINES LITTÉRAIRES.

vait en foule achevèrent le succès…. Ce livre baissa dans l’esprit des hommes quand une génération entière, attaquée dans l’ouvrage, fut passée. Cependant il est à croire qu’il ne sera jamais oublié. »

Mais, la part faite à l’admiration des qualités littéraires, Vauvenargues n’a rien emprunté à La Bruyère pour le fond de la pensée. Il existait, en effet, de trop profondes différences entre leurs natures morales, et ces différences se traduisaient nécessairement par une conception tout opposée de la peinture des mœurs. La Bruyère s’est attaché, de préférence, à décrire dans un esprit de satire les ridicules et les mesquineries de l’homme social ; Vauvenargues s’est proposé, ainsi qu’il le dit lui-même, de peindre « des mœurs plus fortes, des passions, des vices , des caractères véhéments » et tous les grands mouvements de l’âme. Dans les portraits de La Bruyère, la physionomie, les gestes, l’allure, la pose, le costume, tous les détails ont été choisis deçà et delà ; ils représentent une quantité de remarques successives que l’écrivain, avec un art suprême, a ensuite réunies, combinées et fondues d’un seul jet, de façon à former un type très général, sans disparate, et d’un puissant relief. Dans les larges esquisses de Vauvenargues, au contraire, la réalité est reproduite telle quelle est, c’est-à-dire très complexe.