Aller au contenu

Page:Paléologue - Vauvenargues, 1890.djvu/138

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
130
VAUVENARGUES.

matrice que destructrice, et la Révolution même eût peut-être change de caractère.

Mais le point sur lequel la séparation est le plus profonde entre Vauvenargues et son époque, c’est la conception de la vie.

Dans les premières années du xviiie siècle, la conscience française, échappée à la tutelle que la forte discipline du règne de Louis XIV avait fait peser sur elle, et comme fatiguée du long effort qu’elle avait soutenu pendant soixante ans pour réagir contre l’instinct gaulois, était revenue à sa frivolité naturelle. Je ne connais pas, dans toute notre histoire, d’époque qui fasse moins d’honneur à notre génie national que celle qui s’étend de la mort de Louis XIV jusqu’aux environs de 1750. Jamais l’esprit français n’a été plus incapable de sérieux. Quelques années plus tard, quand on sera au plus fort de la lutte, l’ardeur de la bataille et la grandeur des intérêts engagés inspireront, par instants, un ton plus digne aux combattants ; et puis Rousseau sera là qui, de sa voix émue et toujours grave, couvrira bien des impertinences et des railleries.

Mais dans la première partie du règne de Louis XV, dans cette période préparatoire de la grande mêlée encyclopédique, l’esprit de notre race est d’une frivolité désespérante : Jean-Baptiste Rousseau, le poète lyrique du siècle, com-