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VAUVENARGUES.

d’écrire, l’homme le plus considérable dans les lettres, celui dont l’influence s’exerçait sans conteste sur le public, sur les salons et jusque sur les Académies, ce n’était pas encore Voltaire, c’était Fontenelle.

À sa suite, on était revenu au précieux ; l’amour du vrai était sacrifié à la recherche du fin et du galant ; l’esprit, le bel esprit régnait souverainement, tranchait de tout, prononçait en maître sur les questions les plus graves qui intéressent l’âme humaine ; littérature, histoire, érudition, philosophie, morale, son autorité s’étendait à toutes les connaissances ; il n’était pas jusqu’aux vérités scientifiques qui ne fussent matière à développements ingénieux et à digressions agréables. Contre cette mode funeste que consacrait la célébrité de Fontenelle, Vauvenargues a réagi avec une vivacité extrême. S’il ne pouvait, jeune, inconnu, presque seul d’ailleurs de son opinion, prendre directement à parti son tout-puissant adversaire, il l’a, du moins, combattu sans relâche, soit par des allusions à sa personne, soit par des coups droits portés à ses théories. C’est ainsi qu’il écrivait dans une de ses réflexions : « Je ne puis ni estimer, ni haïr ceux qui n’ont que de l’esprit », et plus loin : « Souvent, fatigué de cet art qui domine aujourd’hui, je dis en moi-même : Si je pouvais trouver un homme qui n’eût point d’esprit, qui parlât seu-