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SA PART DANS L’ŒUVRE DU XVIIIe siècle.

je date des jours sombres de 1793 la belle lettre qu’il écrivait à Saint-Vincens, en novembre 1746, à la nouvelle de l’invasion de la Provence par les Impériaux ; je le vois reprenant du service, poussé rapidement aux premiers grades, réunissant en lui les qualités charmantes et généreuses d’un Marceau ou d’un Hoche, admirable d’élan et d’héroïsme dans les combats, mais n’atteignant pas tout à fait au rang supérieur des Masséna et des Augereau, et inhabile peut-être dans la science du conseil et du grand commandement ; et je le vois aussi, un soir de bataille, à Lonato ou à Rivoli, mourant comme Joubert à Novi, comme Desaix à Marengo, avec un rayon de pure gloire, dans cette heure unique et radieuse de notre histoire.

Mais c’est à un tout autre point de vue qu’il se faut placer pour apprécier le rôle vraiment original de Vauvenargues et lui assigner son rang dans notre littérature morale. Son principal titre, trop négligé jusqu’ici, à la mémoire de la postérité est d’avoir annoncé clairement l’homme qui a laissé la trace la plus profonde dans le xviiie siècle et dont les idées ont porté après lui les plus lointaines conséquences. Vauvenargues a été le précurseur de Rousseau, la première épreuve pour ainsi dire de ce singulier génie, une de ces ébauches heureuses par lesquelles la nature, agis-