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VAUVENARGUES PRÉCURSEUR DE ROUSSEAU.

supériorité que nous nous accordons sur tous les siècles. » Si Vauvenargues, moins hardi que Rousseau, ne va pas jusqu’à déclarer que les sciences et les arts engendrent tous les vices et que l’homme primitif est un type parfait de simplicité et d’innocence, du moins est-il le premier à déclarer que les inventions dont les peuples modernes sont si fiers, les découvertes de la science, les perfectionnements de l’industrie, importent peu au progrès moral de l’humanité ; que les âmes simples et ignorantes des temps antiques trouvaient dans leurs instincts spontanés autant de justice et de vérité qu’on en a réalisé depuis, aux âges de science et de réflexion, et que, dans l’ordre idéal, les peuples primitifs ne nous étaient pas inférieurs.

Avant Rousseau encore, Vauvenargues a voulu raviver dans la société corrompue qui était celle de son temps le goût du vrai et du naturel : « La politesse et la délicatesse, poussées au delà de leurs bornes, font regretter aux esprits naturels la simplicité qu’elles détruisent. Nous perdons quelquefois bien plus en nous écartant de la nature que nous ne gagnons à la polir ; l’art peut devenir plus barbare que l’instinct qu’il croit corriger. »

Enfin, avec une éloquence digne de l’auteur de l’Émile, Vauvenargues a tenté aussi de réveiller, au sein de la société la plus égoïste qui fut jamais, les émotions douces et compatissantes. Le pre-