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VAUVENARGUES PRÉCURSEUR DE ROUSSEAU.

En retour, quel parfait disciple Rousseau aurait eu dans Vauvenargues ! — non pas un de ces disciples qui ne sont que la pâle copie et la contrefaçon du modèle, quand ils ne le compromettent point par leurs excès, — mais un de ceux qui, ne gardant du maître adoptif que l’inspiration première, entretiennent pour ainsi dire la flamme de sa pensée par leur propre flamme, confirment et garantissent sa parole par leur autorité personnelle, et, véritables héritiers de son œuvre, s’attachent à la développer et à l’élucider plutôt qu’à l’imiter.

Et Vauvenargues n’eût pas été seulement le disciple parfait selon l’esprit, il eût été aussi le disciple chéri. Une douce, une bienfaisante influence se fût communiquée de son âme à celle de Rousseau ; son charme pénétrant, sa tendresse exquise et ingénieuse eussent plus d’une fois apaisé les souffrances, adouci les rancunes de ce grand génie toujours inquiet et malheureux ; il lui aurait répété ce qu’il se disait à lui-même dès qu’un peu d’amertume lui venait aux lèvres : « Il faut être humain par-dessus toutes choses ; il faut tâcher d’être bon, de calmer ses passions, de posséder son âme, d’écarter les haines injustes et d’attendrir son humeur autant que cela est en nous ». Et Jean-Jacques l’eût aimé aussi dune affection délicate et profonde, comme il aima trop tard Bernardin de