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Page:Paléologue - Vauvenargues, 1890.djvu/156

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VAUVENARGUES.

Saint-Pierre, comme il savait aimer quand il osait épancher son cœur sans défiance et que nulle crainte ne troublait son âme.

Ainsi, que l’on considère l’œuvre écrite de Vauvenargues ou la place qu’il lui faut assigner dans notre histoire morale, la même conclusion se formule : le jour où Vauvenargues a disparu, de grandes, de légitimes espérances se sont évanouies avec lui, et une perte immense a été consommée.

Les morts prématurées de ceux qui semblaient appelés à briller dans la vie de l’esprit ne sont pas toutes également déplorables : les artistes et les poètes ont le singulier privilège de pouvoir disparaître plus jeunes que les philosophes et les savants. C’est que la pensée spéculative est une plante plus tardive et qui demande des soins plus réfléchis, une culture plus lente que la poésie ou le sentiment esthétique. Certes, on peut regretter les belles œuvres dont un André Chénier, un Shelley, un Leopardi, ont emporté le secret dans la tombe. Mais la destinée leur fut moins cruelle qu’il ne semble, car, avant de disparaître, ils avaient eu le temps de donner leur fleur et leur parfum. Si le Tasse était mort à trente et un ans, la postérité n’y aurait perdu ni l’Aminta, ni les Rimes amorose, ni la Gerusaleme liberata, et le génie du poète y eût gagné de n’être pas déparé par les inspirations malheureuses de sa muse vieillissante.