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Page:Paléologue - Vauvenargues, 1890.djvu/157

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VALEUR DE SON ŒUVRE.

Mais la mort prématurée d’un La Boétie, d’un Pascal ou d’un Vauvenargues, voilà qui est à tout jamais désolant et irréparable ; là se révèlent vraiment l’iniquité et l’indifférence transcendantes de la nature. Songez, en effet, que si Descartes et Bossuet n’avaient vécu que trente-cinq ans, il faudrait rayer leur nom de notre littérature, que, disparaissant au même âge, Voltaire aurait eu pour seuls titres à la mémoire de la postérité Œdipe et la Henriade, et Rousseau n’aurait pas laissé une ligne de sa main.

S’il fallait donc interpréter, au sens étroit de la lettre, le précepte que chacun doit être jugé selon ses œuvres, il n’en serait guère de plus faux, ni de plus immoral[1].

À ceux qui n’ont eu qu’un jour, qu’une heure d’éclosion brillante, la critique doit appliquer des règles et une mesure particulières. Dans ces esprits si tôt disparus, ce qu’il faut apprécier, ce n’est pas l’étendue et la hauteur du vol, c’est la hardiesse et la grâce de l’essor. Tout au plus, pour rester dans la stricte équité et ne pas trop accorder à la sympathie qu’inspire leur destinée, peut-on reconnaître dans leurs œuvres précoces un certain

  1. « Il ne faut pas mesurer les hommes, dit Vauvenargues, par leurs actions, qui sont trop dépendantes de leur fortune, mais par leurs sentiments et leur génie. » Réflexions sur divers sujets, § 49.