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Page:Paléologue - Vauvenargues, 1890.djvu/158

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VAUVENARGUES.

caractère d’inconscience et presque de nécessité. Qui sait, en effet, si les êtres qui sont condamnés à mourir jeunes — non par accident, mais parce qu’ils portent au fond et dans les racines de leur organisme des germes d’extinction rapide — ne doivent pas à cette prédisposition physiologique une maturité particulière de pensée et une hyperesthésie extraordinaire de toutes les facultés de l’âme et de l’intelligence ?

C’est à ce point de vue qu’il faut juger Vauvenargues. Son œuvre, à ne l’examiner qu’en elle-même, ne peut, dans la rigueur du langage critique, être dite de premier ordre. Originale sous bien des rapports, dictée par l’inspiration la plus haute, écrite d’un style excellent, elle est trop souvent faible par la pensée, incomplète, inégale, obscure ou contradictoire. Quelle que soit la noblesse du sentiment qui l’anime, elle n’est jamais d’une exécution accomplie et définitive ; cette beauté radieuse et épanouie qui caractérise les créations supérieures de l’art, ces parfaits contours qui les dessinent et les limitent, cette pure lumière qui les éclaire, n’apparaissent dans aucune de ses parties. Si même le vrai moraliste est celui qui non seulement possède la connaissance pratique de l’homme social, de ses instincts, de ses passions, de ses vertus et de ses vices, mais qui, s’élevant au-dessus de ce premier résultat de l’expérience et de