Page:Paléologue - Vauvenargues, 1890.djvu/16

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
8
VAUVENARGUES.

ques, et pour défendre Caton, quand on lui jetait des pierres. Vous souvenez-vous que, César voulant faire passer une loi trop à l’avantage du peuple, le même Caton voulut l’empêcher de la proposer, et lui mit la main sur la bouche, pour l’empêcher de parler ? Ces manières d’agir, si contraires à nos mœurs, faisaient grande impression sur moi[1]. »

Sur ces entrefaites, un Sénèque et les lettres de Brutus à Cicéron tombèrent entre ses mains ; il les lut et s’en pénétra avec la même émotion : « Ces lettres sont si remplies de hauteur, d’élévation, de passion et de courage, qu’il m’était bien impossible de les lire de sang-froid ; je mêlais ces trois lectures, et j’en étais si ému, que je ne contenais plus ce qu’elles mettaient en moi ; j’étouffais, je quittais mes livres, et je sortais comme un homme en fureur, pour faire plusieurs fois le tour d’une assez longue terrasse, en courant de toute ma force, jusqu’à ce que la lassitude mît fin à la convulsion. »

Singulier privilège de quelques esprits, qui ne sont pas toujours parmi les plus grands : leur œuvre, abstraction faite de sa valeur originale et de sa beauté d’expression, semble douée du pouvoir propre de susciter, à travers le temps et l’espace, certains mouvements dans les âmes ; elle agit à

  1. Lettre au marquis de Mirabeau, 22 mars 1740.