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Page:Paléologue - Vauvenargues, 1890.djvu/36

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VAUVENARGUES.

Quant à la passion vraie, quant à sa façon de la ressentir, c’est un point où Vauvenargues est demeuré toujours mystérieux. Ses idées sur l’amour ne nous sont connues que par l’accueil qu’il fait aux épanchements de Mirabeau, jamais par des aveux directs et personnels. Il lui écrira un jour : « Je n’ai jamais été amoureux que je ne crusse l’être pour toute ma vie ; si je le redevenais, j’aurais encore la même persuasion. On sent assez qu’on est malade, mais on ne veut pas guérir ; l’âme est remplie de son objet ; les autres ne la touchent point ; on souffre, on connaît son mal, mais on ne saurait s’en distraire[1]. » C’est là sa plus intime confidence à son meilleur ami, et le mot qu’il a prononcé plus tard est vrai : « Je n’ai jamais osé ouvrir mon cœur à personne tant que j’ai vécu ».

Le prince de Ligne a dit un jour : « Si La Bruyère avait bu, si La Rochefoucauld avait chassé, si Vauvenargues avait aimé'… ils auraient bien mieux écrit ».

Le prince de Ligne s’est trompé : Vauvenargues a aimé. Mais il a très rarement parlé de l’amour, soit que ce sujet lui semblât trop délicat et froissât en lui quelque pudeur secrète, soit qu’il ranimât au fond de son cœur quelque souvenir mal éteint.

D’abord Vauvenargues était admirablement orga-

  1. Lettre au marquis de Mirabeau, 23 janvier 1739.