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VAUVENARGUES.

et que leurs vaines poursuites les occupent sans les satisfaire…⋅ Je ne veux pas vous faire entendre que je me suffise à moi-même, et que toujours le présent remplisse le vide de mon cœur ; j’éprouve aussi, souvent et vivement, cette inquiétude qui est la source des passions. J’aimerais la santé, la force, un enjouement naturel, les richesses, l’indépendance, et une société douce ; mais comme tous ces biens sont loin de moi, et que les autres me touchent fort peu, tous mes désirs se concentrent et forment une humeur sombre que j’essaye d’adoucir par toute sorte de moyens. Voilà où se bornent mes soucis… Voilà, mon cher Mirabeau, ce que je pense tous les jours, pour justifier mon indolence. »

La correspondance, à ce moment, est des plus vivement engagée entre les deux jeunes gens, et les lettres s’échangent courrier par courrier. Mirabeau, qui ne se tient pas pour battu par les raisons qu’on lui oppose, revient à la charge. Ce n’est pas tout, pense-t-il, que d’avoir démontré à son ami la nécessité d’un but dans la vie ; il lui désigne ce but et avec un coup d’œil d’une justesse merveilleuse : « Quelqu’un qui pense et s’exprime comme vous n’est pas pardonnable de n’avoir aucune ambition. Je sais que votre peu de disposition et de santé ne vous permet pas de courir ce que quelqu’un comme vous doit appeler fortune ; mais quelle carrière d’agréments ne vous ouvrent pas vos talents dans