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VAUVENARGUES.

encombrés de bagages et d’équipages : on y mit le feu pour ne pas ralentir la marche de la colonne.

Le troisième jour, on arriva devant une chaîne escarpée et boisée, que contournait la route d’Egra. Afin de dépister la poursuite des Impériaux, Belle-Isle forma le parti audacieux de quitter cette route et de s’engager en pleine montagne, dans un pays où jamais armée ne s’était aventurée. Il fallut s’ouvrir un chemin à la hache, à travers la forêt. On se mettait en mouvement bien avant l’aube, « au lever de la lune », et l’on marchait jusqu’au soir. L’armée était épuisée de froid, de fatigue et de faim : ceux qui tombaient ne se relevaient plus. Suivant l’expression de Belle-Isle, on « força nature » pour arriver au terme de cette opération, et ce fut miracle, en effet, si l’on y parvint. Quand on atteignit Egra, le 26 décembre, la courageuse troupe était à bout de forces ; près de la moitié de l’effectif était resté en route, enseveli dans les neiges ; mais l’honneur était sauf.

Vauvenargues, dont la santé n’avait jamais été robuste, fut cruellement éprouvé : il eut les deux jambes gelées[1].

  1. « En arrivant à Egra, dit Mauvillon dans son Histoire de la guerre de Bohème, plusieurs moururent pour s’être trop approchés du feu ; d’autres devinrent prodigieusement enflés ; il fallut couper des bras et des jambes…. Plusieurs de ceux, qui étaient arrivés sains et saufs à Egra, moururent de la fièvre chaude, après un long et cruel délire qui tenait de la rage. »