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VAUVENARGUES.

il leur adressait le plus grave de tous les reproches, celui de « ne point sentir et de n’avoir point d’âme ».

Il faudra que de grands changements se soient opérés dans l’esprit de Vauvenargues, qu’il ait beaucoup souffert et beaucoup pensé, pour qu’il en arrive à déclarer « qu’il vaut mieux déroger à sa qualité qu’à son génie ». Et encore ne se sera-t-il pas assez affranchi de ses préjugés et de ses scrupules pour consentir à signer de son titre[1] et de son nom son premier livre, le seul qui ait été publié de son vivant.

Mais ces diverses considérations, si importantes qu’elles fussent, ne durent tenir cependant qu’une place secondaire dans la crise que traversait alors Vauvenargues. Le point capital de ce conflit intime fut l’antithèse absolue, la séparation profonde qu’il apercevait entre le monde de l’action et celui de la pensée. À ses yeux, il n’existait encore qu’une seule forme d’action, celle qui se traduit dans toutes les manifestations extérieures de notre activité. Il ne savait pas que, à côté de ce mode d’activité dont le monde sensible est le théâtre, il en existe un autre qui s’exerce non pas dans la réalité immédiate de la vie, mais dans une réalité supérieure, dans le monde

  1. Vauvenargues avait pris le titre de marquis, du vivant même de son père ; car celui-ci lui survécut de près de quinze ans.