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AMITIÉ DE VOLTAIRE.

idéal. Il ne voyait pas clairement qu’une pensée est aussi une action, moins perceptible sans doute aux yeux du vulgaire, moins prompte peut-être dans ses effets, mais mille fois plus durable et plus lointaine dans ses résultats, infiniment puissante et féconde dans ses répercussions mystérieuses, et que si, dans l’ordre des faits, il est peu d’actes humains dont les conséquences aient de beaucoup survécu à celui qui l’exécute, de beaux sentiments, de glandes idées opèrent à travers les siècles comme des actions continues et éternelles. Il ne pouvait pas savoir enfin que c’étaient Montesquieu, Voltaire et Rousseau qui seraient les maîtres de son siècle, que les plus grands faits d’ordre politique paraîtraient de bien modestes événements, comparés aux Lettres philosophiques, à l’Esprit des lois et au Contrat social et que la longue série de guerres qui allait s’ouvrir cinquante années après lui, la plus prodigieuse dépense d’activités humaines que le monde ait jamais faite, aurait une action moins profonde sur les âmes et produirait des effets historiques moins durables que quelques paroles sonores échappées d’une bouche éloquente ou quelques pages légères dépositaires d’une pensée forte et hardie.

Vauvenargues a consigné en maint endroit de sa correspondance et de ses œuvres le souvenir des troubles qu’éprouva sa conscience à l’heure où il lui fallut choisir une carrière nouvelle et des regrets