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DERNIÈRES ANNÉES.

lesquelles on s’impose dans l’ordre positif et on triomphe des obstacles ? J’imagine, au contraire, que ses scrupules, sa conscience, sa parfaite sincérité l’eussent mal servi dans son temps. Trop de délicatesse a toujours nui à l’action, et de quelque ardeur qu’on soit animé, on est mal armé pour agir sur un siècle de scepticisme et de frivolité quand on apporte au combat une âme trop pure et trop fière. Comment l’épreuve de la réalité lui eût-elle rendu son rêve ?

C’est dans ces conditions, c’est dans cet état d’esprit que Vauvenargues arriva à Paris vers le milieu du mois de mai 1745. L’exiguïté de ses ressources l’obligeant à l’existence la plus humble, il s’installa dans une modeste maison meublée, l’hôtel de Tours, rue du Paon[1].

Il vécut là, fort retiré. On ne le vit ni au café Procope, proche de la Comédie, ni au café Pradot, au quai de l’École, où les gens de lettres s’assemblaient. L’esprit qui régnait dans ces réunions suffisait à l’en écarter. On ne le rencontra pas non plus dans le monde, dont il se tint toujours éloigné, autant par nécessité que par goût. Seuls quelques amis, Voltaire, d’Argental, Marmontel, le critique Bauvin, venaient par instants lui tenir compagnie et goûter le charme de son intimité.

  1. Cette rue s’ouvrait alors près du couvent des Cordeliers, sur l’emplacement actuel de l’École de médecine.