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DERNIÈRES ANNÉES.

d’une rare grandeur morale, celui d’un homme jeune, ambitieux, épris de gloire, justement persuadé de sa valeur, conscient de l’œuvre qu’il portait en soi, n’ayant pourtant connu dans la vie que souffrances et déceptions, mais qui, à l’instant où la mort vient le saisir, n’a pas un mot d’amertume, pas un cri de révolte aux lèvres. Considérez ce que chacun de ces termes — jeunesse, ambition, passion de la gloire, sentiment de la valeur personnelle et conscience de l’œuvre à accomplir — justifierait seul de récriminations désespérées contre la destinée. Que de causes légitimes, semble-t-il, d’indignation et de rébellion !

Le cadre même dans lequel se déroulait ce drame intime le rendait plus poignant : une pauvre chambre d’hôtel, aux murs nus, à l’aspect froid et triste, à peine chauffée, mal éclairée, trop vaste encore pour les rares amis qui venaient apporter de temps à autre au mourant une parole de consolation et de soutien. Il a fallu — soyez-en persuadé — un moindre effort à André Chénier pour marcher avec courage à l’échafaud qu’à Vauvenargues pour mourir si noblement dans sa solitude misérable ; car l’homme est un tel comédien qu’une grande mise en scène et le souci de l’effet à produire l’aident singulièrement à bien mourir.

Dans cette lente agonie qui dura plus d’un an, l’âme de Vauvenargues demeura-t-elle toujours