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Il savait mieux que cela. Il savait que depuis la décapitation d’un Stuart et l’expulsion de sa famille, il n’y avait qu’une seule puissance dans la Grande-Bretagne, l’aristocratie. Par sa prépondérance, elle pesait avec les formes les plus courtoises sur les rois courbés devant elle. Elle avait à son gré disposé de leur couronne, qu’elle avait donnée à un étranger. — Heureux hasard ! cet étranger la méritait.

Le républicain Cromwell avait commencé la grandeur de son pays, le républicain hollandais la consolida et l’agrandit avec un mérite et un succès parfaits. L’aristocratie pesait plus lourdement encore sur le peuple, et avec les formes les plus discourtoises, l’achetant et le brocantant comme une marchandise. Elle restait maîtresse par la vénalité des élections, ne souffrait que ses cadets et ses commis sur les bancs des Communes. Montesquieu employait donc l’artifice, comme on s’en sert encore aujourd’hui pour mettre en plus fort relief le despotisme qui trônait alors en France. Il témoignait en cela de plus d’esprit que d’honorabilité. Ainsi font aujourd’hui ses imitateurs.

Personne en France n’ose s’attaquer à l’empereur personnellement. Il a des moyens de répression trop formidables. Cependant il n’est personne contre qui autant de reproches amers, d’épigrammes caustiques, ne soient plus incessamment portés à la connaissance de ses sujets, sous le voile des allusions les plus transparentes. Tout ce que Tacite, Suétone et Martial ont buriné de flétrissures sur les actes des empereurs, sur les terreurs et les lâchetés des sénateurs, est enchâssé dans de prétendues histoires romaines, à l’adresse de Napoléon III. Ainsi fit Montesquieu. Ne voulant pas dire combien étaient avilis la cour et les courtisans de Versailles, il feignit de voir ailleurs des perfections qui n’y étaient pas.

Les vraies doctrines sociologistes des temps modernes se résument en peu de mots : Reconnaître que, dans l’ordre temporel et politique, il n’y a d’autorité légitime que celle qui a le consentement de la majorité de la nation ; de constitutions sages et bienfaisantes que celles sur l’adoption desquelles les intéressés ont été consultés, et auxquelles les majorités ont donné leur libre acquiescement ; que tout ce qui est institution humaine est destiné à des changements successifs ; que la perfectibilité continue de l’homme en société lui donne le droit et lui impose le devoir de réclamer les améliorations qui conviennent aux circonstances nouvelles, aux nouveaux besoins de la communauté dans laquelle il vit et se meut.

Les institutions auront plus ou moins de durée, selon qu’elles auront mieux ou moins bien formulé et défini les droits et les devoirs du magistrat responsable, — chargé de faire exécuter la loi, sans pouvoir y substituer son action extra-légale, sous peine de punition certaine et efficace — ainsi que les droits et les devoirs des sujets, demeurés assez puissants pour sauvegarder facilement leurs franchises et leurs immunités.

Une génération qui a joui de l’estimable privilège de se choisir la constitution qui lui convient le mieux, admettra volontiers et décrétera que les générations suivantes devront jouir du droit qu’elle a trouvé bon et juste de se donner à elle-même. En conséquence, à des époques fixes et rapprochées, les peuples libres auront des conventions, distinctes de leurs parlements et des autres corps législatifs ordinaires. Ceux-ci, fondés et élus par la constitution, lui doivent soumission absolue. Ils sont chargés de la maintenir intacte, de ne faire de lois que celles qui ne la violent pas. Ces peuples libres doivent avoir aussi un pouvoir judiciaire, autorisé à décider, quand la question lui est soumise, si une loi est conforme ou contraire à la constitution, pour la déclarer exécutoire si elle y est conforme, ou nulle et de nul effet si elle lui est contraire. La convention, elle, aux époques et dans les circonstances pour lesquelles elle est établie, devient l’autorité la plus importante d’un pays, sans avoir le pouvoir d’y faire la moindre loi. Elle n’a nulle autre attribution que celle d’examiner si le corps politique est demeuré sain, ou s’il est devenu malade ; s’il est actuellement fort ; s’il est progressif et satisfait ; ou s’il existe quelque maladie qu’il soit possible à la sagesse humaine de guérir, quelque mécontentement qu’il lui soit possible de faire cesser. Sous les regards du pays entier, assistant à ses délibérations par la voie du journal quotidien, qui publie le compte-rendu de tout ce qui s’y dit, s’y propose et s’y résout, elle conclut à ce que des modifications à la constitution existante, telles qu’elle les indique, soient soumises à la considération et à la décision des citoyens. Après discussion libre, la majorité de ceux-ci décide de ce qu’elle en accepte, de ce qu’elle en rejette. Le pays se donne à