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lui-même une constitution révisée et améliorée.

Voilà le système américain, de bien loin le plus parfait que l’ingénuité et la raison humaines aient encore imaginé, pour promouvoir le plus rapidement possible la grandeur et la prospérité des états qui auront le bonheur de le recevoir.

Voilà mes convictions et ma foi politiques. Je n’ai ni le droit ni la prétention de les faire adopter ; mais j’ai indubitablement le droit de les exprimer librement. J’en ai le même droit qu’a de les réfuter chacun de ceux qui pensent autrement que moi. Ce n’est pas un droit théorique, c’est un droit donné par l’autorité suprême qui éclaire tout homme venant en ce monde et lui a soufflé : « faites pour autrui ce que vous voulez que l’on fasse pour vous. » C’est le droit qui ne fut reconnu qu’en partie par les articles de la capitulation qui disent : « ils deviennent sujets anglais. » Ce titre a brisé pour eux le scellé qu’il y avait eu sur leurs lèvres, l’embastillement par lettres de cachet pour quoi que ce soit qu’ils diront et écriront ; confère le droit à la pleine discussion orale et écrite, l’autorité d’appeler en assemblée publique quiconque voudra bien s’y rendre pour les entendre ; abolit la censure préalable sur les livres, et proclame la liberté de la presse, aussitôt qu’une presse aura été importée en leur pays.

Voilà quel a été le droit : c’est beau, très-beau ! Ce qui a été le fait, c’est laid, très-laid ! – souillé et ensanglanté.

D’après ces principes trois fois saints et justes, le Canada, depuis qu’il est devenu anglais, n’a pas encore eu de constitution. Il a eu une infinie variété de formes d’administration, toutes mauvaises. Chacune et toutes ne méritent et n’obtiendront de l’impartiale histoire que le mépris pour leurs défectuosités, et que la flétrissure pour les noms de leurs auteurs, qui organisaient l’oppression des majorités par les minorités.

Énumérons-les : Régime de la guerre ; trois mois en 1759.

Régime soldatesque de 1759 à 1763 ; durée, quatre ans.

Régime à patente royale, de 1763 à 1774 ; – durée, 11 ans.

Régime parlementaire premier, 1774 à 1791 ; – 17 ans.

Régime parlementaire second, de 1791 à 1837 ; – 46 ans.

Régime soldatesque second – 1839 ; – un an.

Régime parlementaire troisième, Conseil spécial ; – 2 ans.

Régime parlementaire quatrième, Union des Canadas ; – 27 ans.

Régime parlementaire cinquième, intronisé depuis quelques mois, et le plus coupable de tous.

Voilà huit régimes bousculés les uns sur les autres en peu de temps par la meilleure des monarchies ; cette autorité principe de grande stabilité, dit-on, pour tout ce qu’elle touche.

Le régime de la guerre ! Il peut être ravageur et païen, ou civilisateur et chrétien. Personne aujourd’hui ne doute que la guerre telle que l’avait ordonnée Louis XIV dans le Palatinat, par l’incendie et la dévastation des champs et des habitations, n’ait été un acte de barbarie criminelle. Nulle part ailleurs il n’a été dénoncé et flétri aussi amèrement qu’en Angleterre.

Wolfe était lettré, Wolfe était chrétien, et il a choisi de faire la guerre avec plus de cruauté et moins de motifs d’excuse que n’en avait Louis XIV.

Au Canada toute la population valide, et plus que la population valide, puisqu’il y eut des volontaires de plus de quatre-vingts ans et des volontaires de moins de douze ans, était concentrée dans les camps et les garnisons.

La population entière du Canada n’était pas de soixante mille âmes ; les trois armées d’invasion étaient de plus de soixante mille soldats. Celle qui fondait sur Québec comptait plus de vingt mille hommes de débarquement, sans compter la puissance de sa flotte. Il y avait pour l’attaque cent matelots contre un, vingt canons contre un. Cela était connu dans les deux camps. Des transfuges, toujours attirés par l’appât de l’or ou le dégoût du service, passant sans cesse de l’une à l’autre armée, faisaient bien connaître la situation respective des combattants. D’un côté, pleine abondance de toutes munitions de guerre et de bouche. De l’autre, dès le début du conflit, recommandation de ménager la poudre durant les engagements, et diminution de la ration, en partie chair de cheval, sans quoi l’on eût bien vite manqué de l’une et de l’autre.

Ces renseignements obtenus, Wolfe crut que la défense ne pourrait être sérieuse, que l’on se bornerait à attendre les premiers coups de canon pour sortir avec les hon-