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ŒIL POUR ŒIL

ta, c’est la guerre entre deux individus. Il sait que je le recherche. Si je ne le tue, il me tuera.

Me montrant le portrait au-dessus de la cheminée, il ajouta :

— J’ai ces deux morts à venger… j’ai aussi mon honneur à venger. Vous savez qu’on me croit responsable de ces morts. Je ne puis pas reparaître à la cour d’Uranie, avant de m’être libéré par des actes de ces soupçons.

— Le responsable ce serait ?

— C’est Howinstein. Quelqu’un de ces jours je vous conterai avec l’histoire de la Révolution Uranienne, ma propre histoire. Elle vous intéressera. Peut-être écrirons-nous ensemble la véridique histoire du mouvement d’il y a huit ans. Le domestique entra suivi de Pierelli.

Je maudis intérieurement l’arrivée de l’intrus qui venait, par sa présence, détruire le charme d’une conversation au moment où elle promettait des révélations intéressantes. Von Buelow sera-t-il, un autre soir dans le même état d’esprit et en même veine de confidences ?

Il me présenta Pierelli. J’ai su par la suite que c’était un compatriote exilé lui aussi volontairement. Il était jadis employé dans les domaines de von Buelow.

Pierelli sortit de sa poche une découpure de journal qu’il tendit au maître. Pendant la lecture, le sourcil se fronça ; le bleu du regard passa au gris de l’acier dont il avait l’éclair.

Sans dire un mot, sa lecture terminée, von Buelow me tendit l’entrefilet.

Il était imprimé en anglais et intitulé :

« Une page d’histoire ignorée ».

L’on y racontait que von Buelow était bien l’auteur de l’exécution de sa femme et non le maréchal Junot comme on l’avait cru. L’on citait à l’appui une supposée lettre adressée par von Buelow au maréchal.

— Qu’en pensez-vous me demanda-t-il après que je l’eus parcouru ?

— Tout simplement ignoble. Vous en connaissez l’auteur ?

— Oui. L’on a peur de mon retour ; on cherche à me discréditer. J’ai su par Pierelli que des clubs politiques fonctionnaient pour renverser de nouveau la monarchie au profit de Howinstein. Mes amis ont encore confiance en moi. En détruisant mon prestige Howinstein croit pouvoir compter sur mon ancienne faction… Ça ne se fera pas. J’ai hésité jusqu’à aujourd’hui. Lui ou moi doit disparaître. Ce sera lui, bien qu’il soit le plus dangereux des adversaires.

Il nous fit signe de le suivre. Après avoir gravi l’escalier, nous pénétrons dans une grande pièce, toute sur la longueur et soigneusement capitonnée pour que tous les bruits en soient assourdis. Sur une table, une quinzaine de poignards et des revolvers. Aux murs des panoplies. Au fond de la pièce, un grand tableau de bois, où une figure d’homme est dessiné. Par terre, un matelas.

— Les paysans de chez nous, dit-il, ont une aptitude à lancer le poignard encore plus grande que celle des italiens. Dans les fêtes publiques, les jeunes gens rivalisent d’habileté à planter l’arme le plus de fois dans la cible. J’ai hérité un peu de l’adresse de mes compatriotes.

Il ouvrit un coffre, se baissa, et l’instant d’après, se releva le chef coiffé d’une perruque rouge. À l’aide d’un crayon il se maquilla.

— Me reconnaîtriez-vous, demanda-t-il ?

Bien que j’aie une mémoire des physionomies que mes amis qualifient de prodigieuses, il m’aurait fallu de grands efforts d’imagination pour reconnaître von Buelow.

— Aucunement.

— Je puis être sûr que personne ne devinera qui je suis sous ce déguisement.

— Pas à moins de le savoir… À moins d’une indiscrétion…

— Pierelli et vous, êtes seul au courant. J’ai votre parole… Quant à Pierelli, je suis aussi sûr de lui que de moi-même.

Il prit un morceau de charbon et dessina d’une façon plus distincte les contours de la figure sur le tableau de bois.