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la mystérieuse inconnue

surmonté de bibelots, des statuettes sur les meubles, des estampes à la muraille donnaient un cachet de discrétion et d’art tout à la fois.

Pour se montrer aimable André demanda :

— Vous faites du piano, Mademoiselle ?

— Oh si peu, ça ne vaut pas la peine.

— Pourtant votre père m’a vanté vos talents de musicienne.

La jeune fille jeta un regard courroucé à l’auteur de ses jours, puis souriante se contenta de dire.

— Et si je vous disais qu’il a raison.

— Je vous répondrais que vous avez tort.

— Eh bien ! je trouve qu’il a raison et n’admets pas avoir tort… Ainsi, vous ne voulez pas faire de musique pour nous ?

— Si cela peut vous intéresser, je veux bien.

— Si cela ne m’intéresserait pas, je ne vous le demanderais pas.

— Et bien, soit ! Si vos oreilles sont écorchées vous l’aurez voulu.

— Je ne crois pas que cela arrive.

La jeune fille s’installa au piano et interpréta le Carnaval de Vienne de Schumann.

Son jeu possédait une vigueur et une netteté étonnantes. Par contre, elle n’y mettait que très peu d’âme.

Le jeune homme la félicita. Elle rougit sous ses compliments.

Si André Dumas s’était ennuyé pendant la soirée, personne n’aurait pu le dire. L’expression de son visage ne changea pas une seule seconde et il s’intéressa aux propos du père comme à ceux de la jeune fille, du moins en apparence.

Quant à Julienne, une fois qu’il fut parti, elle ne put chasser son souvenir de sa tête. Elle le détesta davantage.

Maintenant, elle était sûre qu’elle le détestait ; elle cherchait en elle-même un moyen de l’humilier, et cela dès la première occasion propice.

Elle savait qu’il reviendrait. Son père voulait qu’il revienne et elle le connaissait suffisamment pour savoir que ses désirs devenaient tous réalités.

Comme pour lui donner raison, dès le lendemain elle reçut une invitation à souper. Elle acquiesça.

Vêtu d’un tuxedo qui l’avantageait, André arrêta chez elle. Elle fut forcé de le trouver beau. Il la conduisit dans un hôtel chic de l’ouest de la ville et se comporta avec une discrétion et une aisance qui auraient pu faire croire, si l’on n’avait connu ses antécédents, que jusqu’alors il avait sacrifié ses jours aux obligations de la vie mondaine.

Julienne Gosselin montait très bien à cheval. C’était l’un de ses sports préférés et vraiment elle y excellait.

Pendant le dîner une idée lui vint.

— Montez-vous à cheval. Monsieur Dumas ?

— Un peu.

— Êtes-vous libre dimanche ?

— Je n’ai aucun engagement. Je ne connais personne à Montréal.

— Si je vous invitais à faire une promenade sur la montagne, accepteriez-vous ?

— J’aurais mauvaise grâce à refuser. Mais il y a un empêchement grave, je n’ai pas de cheval.

— Je vous en trouverai un. Il y a une écurie de louage à la Côte des Neiges où l’on garde de superbes bêtes…

— Alors, c’est entendu, je vous accompagne.

— Cela ne vous ferait rien que j’invite des amis ?

— Cela me ferait plaisir, au contraire.

— J’ai mon affaire, pensa-t-elle…

Avec un art machiavélique, elle organisa le « party ». Elle s’arrangea avec le propriétaire de l’écurie pour que ce dernier fournisse à André Dumas la monture la plus vicieuse et la plus rétive de son écurie. Puis elle invita quelques unes de ses amies pour que l’humiliation qu’elle méditait fut plus grande.

Au jour dit, vers deux heures, le groupe qui se composait de cinq personnes ; Julienne, trois de ses amis et André Dumas, se rendit en taxi à la Côte des Neiges.

Les chevaux sellés, ils y montèrent, et s’engagèrent immédiatement dans la montagne.

Les bêtes allaient au pas.

André remarqua que celle qu’il montait était fringante et manifestait des signes de nervosité. Les genoux serrés fortement, il s’appliquait à se bien tenir en selle. Une fois arrivé au sommet, le groupe s’arrêta.

Près de l’endroit où est construite la glissoire se trouve un champ d’équitation avec tous les obstacles que les coureurs aiment à franchir.

Julienne piqua son cheval ; celui-ci s’élança sur la piste et d’un bond, comme se jouant, franchit la première barrière.

Elle revint à son point de départ, et après un clin d’œil furtif à ses compagnes.

— Monsieur Dumas, pouvez-vous en taire autant ?

Il ne répondit rien.

— Voyons, Monsieur Dumas, ce qu’une jeune