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LES CAPRICES DU CŒUR

Cette jeune fille, il ne devait pas l’aimer. Il n’était pas digne d’elle.

Un vers de Victor Hugo lui revint à la mémoire qu’il se surprit à déclamer tout haut :

 « Je suis le ver de terre amoureux d’une étoile. »

Puis il se mit à songer à tout ce qui le séparait de Marcelle Beaudoin. Lui, il était l’étudiant en droit, dont la carrière s’annonçait plutôt problématique. Elle, c’était la jeune fille moderne, fille d’un père très riche, et dont tous les caprices, au moindre désir, étaient satisfaits. Aurait-elle l’énergie, le courage d’attendre, deux ans, trois ans, peut-être plus, jusqu’au jour où il pourrait lui dire : « Voici ce que j’ai fait. Voici ce que je puis faire. »

Maintenant pour tout avoir il n’avait que les possibilités futures.

— Lucien, lui dit sa sœur Germaine, en entrebâillant la porte de la chambre, Jacques Mainville est arrivé.

— Fais le monter.

Peut-être, précisément était-ce à cause de leurs divergences de tempérament que Jacques Mainville et Lucien Noël formaient la meilleure paire d’amis que l’Université Laval, à Montréal, comptait parmi ses étudiants. L’un était tendre, rêveur, sentimental, l’autre était pratique, terre à terre, matérialiste.

Unis depuis les temps lointains du collège ils avaient continué à l’Université, à former le couple le plus solidaire, le plus uni. Attaquer l’un c’était attaquer l’autre.

— Bonjour Jacques, lui dit Lucien, comme il entrait.

— Bonjour répondit celui-ci, sèchement. Mais… diable ! Tu as bien l’air rêveur, cet après-midi. À quoi pensais-tu donc avant que j’arrive.

— Je pensais à…

— À Marcelle ?… Encore. Sais-tu que tu deviens abrutissant avec tes amours. Fais moi donc le plaisir de ne plus t’occuper de ta flamme et de songer plutôt à tes examens… D’abord elle ne t’aime pas…

— C’est plus que tu ne peux savoir…

— Je t’ai dit qu’elle ne t’aime pas. Depuis une semaine, elle ne veut plus te voir.

— C’est pour ne pas me distraire dans mes études.

— Raisonnement d’amoureux éconduit. Moi ! je vois ma « blonde » tous les jours. En voilà une qui m’aime !

— L’aimes-tu ?

— Franchement ? Non ! Sais-tu pourquoi ?

— Non ?

— Parce qu’elle m’aime…

Il regarda la pendule sur la muraille.

— Trois heures et demie. Laissons nos amours de côté et reprenons nos études.

— Je n’ai pas le goût d’étudier cet après-midi.

— Pourquoi ?

— Je ne sais pas. Peut-être parce que le souvenir de Marcelle m’obsède.

— Encore ! Imbécile ! Fou ! Tu vas « bloquer » tes examens ; c’est tout ce qui va t’arriver. Penses-tu que ça va lui faire plaisir que tu « bloques ».

— Tu as raison. Étudions.

— Nous étions au titre : Des Tutelles.

— Quelle matière abrutissante.

— Je ne trouve pas. Je trouve, au contraire qu’il n’y a rien d’intéressant comme le Droit. C’est devenu une passion pour moi.

— Pas pour moi.

— Pourquoi, alors, choisir cette carrière ?

— Parce que c’était la profession pour laquelle j’éprouvais le moins de répugnance.

— Tu n’étais pas obligé d’étudier une profession.

— C’est là où tu te trompes. Quand on a fait un cours classique il faut être notaire, médecin, ou avocat… à moins d’être prêtre.

— Autrefois pas aujourd’hui. Faubert s’est bien lancé dans les affaires, lui. Je te gage qu’il va aller plus loin que nous.

— Faubert est un homme d’affaires naturellement. En plus il n’a pas de famille à plaire.

— Qu’est-ce que la famille vient faire dans ceci.

— Tu n’as jamais compris que je veux être avocat seulement pour faire plaisir à mon père.

— Tu es un idiot si tu as fait cela. Abandonne alors.

— Il est trop tard. Je n’ai plus que trois mois à patienter. Et puis… si c’était à recommencer… Mais à quoi bon. Nous touchons presque au terme de nos études… Sais-tu qu’aujourd’hui, il y en a